samedi 10 novembre 2007

L’étonnant Andrea Pinketts


Je l’ai rencontré au Festival du Roman Noir de Frontignan-La- Peyrade c’était en 1999.

Le soleil de cet après-midi de juin était à son paroxysme. Les contrastes des clairs obscurs étaient tels, que depuis la terrasse du café, je ne pouvais distinguer l’intérieur du bar. La silhouette d’un homme sortit de la pénombre comme par magie. Il se campa devant moi, à la lisière du jour. Je n’avais jamais rien vu de pareil à lui. Il était impérial dans son costume parfaitement taillé, en cravate de soie rose bonbon, coiffé d’un Borsalino de paille au ruban noir, cigare toscan au coin des lèvres, un verre de whisky à la main, regard bienveillant posé sur moi du haut de son mètre quatre-vingt-trois. Il existait… Je n’en croyais pas mes yeux… C’était Andrea Pinketts ! Je jubilais intérieurement, j’avais le sentiment que je n’avais pas fait le voyage pour rien. Un aimable membre de la famille du polar s’empressa de faire les présentations. Tandis qu’un autre énergumène fit son apparition en sortant du trou noir. Il se posta à côté d’Andrea Pinketts dans la lumière éclatante. Chevelu et barbu, il s’agissait de l’infernal Henri Joseph, écrivain américain vivant en ermite dans le fin fond d’une forêt de l’état de Georgie.

Andrea avait accepté ma proposition de portrait. Il m’avait donné rendez-vous sous les cocotiers du Square Victor Hugo, lieu du festival. Il dédicaçait Le sens de la formule et La madone assassine. Ma longue robe de lin blanc, ainsi que mes longs cheveux raides tombant autour de moi comme un voile, me donnaient l’apparence d’une Sainte Vierge. Alors que je dessinais son portrait sur une grande feuille blanche au dos de mon carton à dessin, il chantait des chansons d’amour en italien. Notre duo était si intense que cela avait créé un attroupement du public et des journalistes autour de nous. J’étais impressionnée, ma main tremblait. Cependant j’eus une étrange idée : profiter de l’occasion pour lui voler un morceau d’âme. Je crois qu’il s’en aperçut. Curieusement j’eus le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène, comme si j’étais le personnage d’un de ses romans, et je crus percevoir au même instant une stupéfaction dans le regard d’Andrea. Il eut l’air surpris et se mit à chanter de plus belle. Cesare Battisti à quelques mètres de nous observait la scène d’un air amusé.

Plus tard dans la soirée alors que la fête battait son plein, Andrea avait bondi comme un lion pour me protéger d’un ivrogne jaloux du portrait que j’avais exécuté. Il y avait tant de détermination et de férocité dans le regard d’Andrea que le pauvre homme terrorisé lâcha immédiatement mon poignet auquel il était agrippé. L’expression d’Andrea changea de nouveau quand il se détourna de l’agresseur, il me regarda d’un air tendre. « It was for fun » m’avait-il dit sur le ton désinvolte d’un dandy comme pour me rassurer.

C’est ainsi qu’Andrea Pinketts devint le premier d’une grande série d’écrivains de polars internationaux à poser pour moi. J’intitulai cette série Les satellites du soleil noir. Ils furent en partie exposés au Festival du Roman Noir l’année suivante.

Andrea G. Pinketts né en 1961 à Milan est l’un des plus passionnants auteurs de l’actuelle génération du polar italien. Il écrit notamment les aventures de son héros fétiche, Lazzare Santandrea, son alter ego séducteur, grotesque et milanais. Il a publié quatorze romans en Italie chez Feltrinelli de 1992 à 1999 puis chez Mondadori de 1999 à 2005. Cinq de ses romans sont traduits en français chez Rivages : Le sens de la formule, La madonne assassine, L’absence d’absinthe, Le vice de l’agneau et Turquoise Fugace. Andrea Pinketts est un combattant de la république des « nonzhommes ». Il fut tour à tour mannequin, sheriff de la ville de Cattolica, patron de boîte, journaliste underground, acteur de romans-photos, maître de Kendo. Écrivain à la verve redoutable. Son texte est aussi coloré et expressionniste que le sont mes portraits. Il raconte d’horribles histoires avec la sensibilité, l’humour et la poésie d’un artiste novateur à la psychologie aussi raffinée que déjantée. Chacun de ses polars débute par un étrange poème. Spécialiste de l’absurde, maître du non-conformisme, il démontre à travers ses romans, sa vie, son personnage, que la frontière entre fiction et réalité n’est qu’une vue de l’esprit. « Je n’écris pas de polars. Je les vis. Ce n’est pas de ma faute si la vie ressemble plus à l’enfer de Dante qu’à un petit mystère bien ficelé et bien propre d’Agatha Christie. »

Texte paru dans le numéro spécial sur le bizarre de la revue Supérieur Inconnu en automne 2007

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