dimanche 11 novembre 2007

Jean-Paul Dessy/Musique Nouvelle/Lever de soleil de Bartabas




Un cavalier noir fit son apparition au milieu des ruines de l’abbaye de Vauclair éclairées par un croissant de lune. On ne voyait pas son visage sous la capuche de la robe de moine. Dans la nuit froide et silencieuse l’étrange équipage se mouvait dans un carré délimité par 300 âmes disciplinées. Quand les fidèles furent tous installés, je me glissai parmi eux… Pour rien au monde je n’aurais voulu rater ce spectacle : Le lever de soleil de Bartabas avec son cheval Le Caravage… Au début le cavalier sur sa monture avançait lentement changeant souvent de directions. On devinait plus qu’on ne distinguait les contours de leurs silhouettes... Si je n’avais pas salué Bartabas la veille à la lumière du jour au milieu des vieilles pierres de l’abbaye de Vauclair, si je n’avais pas rencontré cet homme au regard franc et direct, si’il ne m’avait pas gratifié de son beau sourire carnassier, éclatant et chaleureux, et si je n’avais pas croisé le doux regard du violoncelliste Jean-Paul Dessy sosie d’Oscar Wild en costume du dix-neuvième siècle ,installé sur une tour abolie, eh bien! J’aurais juré que cet équipage et ce violoncelliste étaient des fantômes mimant la représentation de l’Arcane sans nom…

300 âmes sages et disciplinées regardaient évoluer le mystérieux cavalier au son d’une musique étrange et lancinante d’un autre monde. Le violoncelliste accompagna longtemps et lentement la marche du Caravage vers la lumière naissante. Au fur et à mesure que la lune s’estompait, Bartabas demandait plus à son cheval, sans exiger cependant. Les mouvements et l’attitude étaient de plus en plus amples et soutenus, mimant un langage aux phrases courtes et rythmées. Pas de répétition. Évolution, comme dans la danse de la lune et du soleil renouvelée chaque jour. Quel enchantement que de voir s’élancer ce cheval tel une danseuses orientales, propulsant son poids de gauche à droite, prenant puissamment appuis pour un envol léger.

Bartabas arrêta son cheval, mis pied-à-terre, le dessella, lui ôta son filet, et quitta le carré, suivi de Jean-Paul Dessy. Le Caravage s’ébroua, et se roula dans un rond de sable. Quand il se releva, il explosa de tous ses muscles dans un bond fulgurant et joyeux. Il donnait libre cours à sa fougue majestueuse et indomptée. La plus belle. Il fit plusieurs tours du carré dans une allure de vainqueur fier, arrogant, hennissant. Le soleil était levé.

samedi 10 novembre 2007

L’étonnant Andrea Pinketts


Je l’ai rencontré au Festival du Roman Noir de Frontignan-La- Peyrade c’était en 1999.

Le soleil de cet après-midi de juin était à son paroxysme. Les contrastes des clairs obscurs étaient tels, que depuis la terrasse du café, je ne pouvais distinguer l’intérieur du bar. La silhouette d’un homme sortit de la pénombre comme par magie. Il se campa devant moi, à la lisière du jour. Je n’avais jamais rien vu de pareil à lui. Il était impérial dans son costume parfaitement taillé, en cravate de soie rose bonbon, coiffé d’un Borsalino de paille au ruban noir, cigare toscan au coin des lèvres, un verre de whisky à la main, regard bienveillant posé sur moi du haut de son mètre quatre-vingt-trois. Il existait… Je n’en croyais pas mes yeux… C’était Andrea Pinketts ! Je jubilais intérieurement, j’avais le sentiment que je n’avais pas fait le voyage pour rien. Un aimable membre de la famille du polar s’empressa de faire les présentations. Tandis qu’un autre énergumène fit son apparition en sortant du trou noir. Il se posta à côté d’Andrea Pinketts dans la lumière éclatante. Chevelu et barbu, il s’agissait de l’infernal Henri Joseph, écrivain américain vivant en ermite dans le fin fond d’une forêt de l’état de Georgie.

Andrea avait accepté ma proposition de portrait. Il m’avait donné rendez-vous sous les cocotiers du Square Victor Hugo, lieu du festival. Il dédicaçait Le sens de la formule et La madone assassine. Ma longue robe de lin blanc, ainsi que mes longs cheveux raides tombant autour de moi comme un voile, me donnaient l’apparence d’une Sainte Vierge. Alors que je dessinais son portrait sur une grande feuille blanche au dos de mon carton à dessin, il chantait des chansons d’amour en italien. Notre duo était si intense que cela avait créé un attroupement du public et des journalistes autour de nous. J’étais impressionnée, ma main tremblait. Cependant j’eus une étrange idée : profiter de l’occasion pour lui voler un morceau d’âme. Je crois qu’il s’en aperçut. Curieusement j’eus le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène, comme si j’étais le personnage d’un de ses romans, et je crus percevoir au même instant une stupéfaction dans le regard d’Andrea. Il eut l’air surpris et se mit à chanter de plus belle. Cesare Battisti à quelques mètres de nous observait la scène d’un air amusé.

Plus tard dans la soirée alors que la fête battait son plein, Andrea avait bondi comme un lion pour me protéger d’un ivrogne jaloux du portrait que j’avais exécuté. Il y avait tant de détermination et de férocité dans le regard d’Andrea que le pauvre homme terrorisé lâcha immédiatement mon poignet auquel il était agrippé. L’expression d’Andrea changea de nouveau quand il se détourna de l’agresseur, il me regarda d’un air tendre. « It was for fun » m’avait-il dit sur le ton désinvolte d’un dandy comme pour me rassurer.

C’est ainsi qu’Andrea Pinketts devint le premier d’une grande série d’écrivains de polars internationaux à poser pour moi. J’intitulai cette série Les satellites du soleil noir. Ils furent en partie exposés au Festival du Roman Noir l’année suivante.

Andrea G. Pinketts né en 1961 à Milan est l’un des plus passionnants auteurs de l’actuelle génération du polar italien. Il écrit notamment les aventures de son héros fétiche, Lazzare Santandrea, son alter ego séducteur, grotesque et milanais. Il a publié quatorze romans en Italie chez Feltrinelli de 1992 à 1999 puis chez Mondadori de 1999 à 2005. Cinq de ses romans sont traduits en français chez Rivages : Le sens de la formule, La madonne assassine, L’absence d’absinthe, Le vice de l’agneau et Turquoise Fugace. Andrea Pinketts est un combattant de la république des « nonzhommes ». Il fut tour à tour mannequin, sheriff de la ville de Cattolica, patron de boîte, journaliste underground, acteur de romans-photos, maître de Kendo. Écrivain à la verve redoutable. Son texte est aussi coloré et expressionniste que le sont mes portraits. Il raconte d’horribles histoires avec la sensibilité, l’humour et la poésie d’un artiste novateur à la psychologie aussi raffinée que déjantée. Chacun de ses polars débute par un étrange poème. Spécialiste de l’absurde, maître du non-conformisme, il démontre à travers ses romans, sa vie, son personnage, que la frontière entre fiction et réalité n’est qu’une vue de l’esprit. « Je n’écris pas de polars. Je les vis. Ce n’est pas de ma faute si la vie ressemble plus à l’enfer de Dante qu’à un petit mystère bien ficelé et bien propre d’Agatha Christie. »

Texte paru dans le numéro spécial sur le bizarre de la revue Supérieur Inconnu en automne 2007